VOLEURS DE NUTRIMENTS !
Vous ne prenez aucun médicament ?
Alors, vous êtes un phénomène dans notre société où la polypharmacie se définit comme par la prise quotidienne de cinq médicaments ou plus pour un individu, celle-ci visant particulièrement les personnes âgées et les personnes, jeunes et moins jeunes, affligées de maladies non transmissibles, ces maladies causées par notre style de vie caractérisé, entre autres, par une alimentation raffinée très pauvre en nutriments essentiels.
LES INTERACTIONS ALIMENTS-MÉDICAMENTS
Pour beaucoup de malades, le premier, et souvent le seul conseil nutritionnel reçu lors de la prescription d’un médicament est d’éviter des produits qui peuvent altérer son efficacité avec des conséquences néfastes. C’est ce qu’on appelle les interactions aliments-médicaments celles-ci créant un risque accru de toxicité du médicament et de ses effets indésirables, ou un échec du traitement.
Par exemple, lors de la prise d’antibiotiques, le lait, même la petite quantité ajoutée dans une tasse de café, a montré une réduction de 49 % de la biodisponibilité de la tétracycline prise en même temps. La doxycycline et la pénicilline sont également affectées. La récupération d’une infection sera alors beaucoup plus lente.
Lors de la prise d’immunosuppresseurs (ciclosporine), les jus de pamplemousse et de canneberge sont fortement déconseillés.
L’ail interagit avec les statines (il empêche le métabolisme du médicament et favorise son accumulation) et les anticoagulants (il a un effet inhibiteur sur les plaquettes sanguines).
LES INTERACTIONS MÉDICAMENTS-NUTRIMENTS
Par contre, les médicaments ont aussi la capacité d’affecter la nutrition d’un individu. On en parle moins souvent, mais c'est tout aussi important. Comme les médicaments et les nutriments utilisent généralement les mêmes mécanismes d'absorption et sont métaboliquement transformés et excrétés par les mêmes voies, l'utilisation régulière de certains médicaments peut avoir une influence négative sur l'état nutritionnel, ou dit directement de créer des carences nutritionnelles iatrogènes aux effets multiformes.
A. L’effet des traitements médicamenteux sur la quantité et la qualité de la prise alimentaire
De nombreux médicaments provoquent :
→ une dysgeusie, une altération ou perte du goût (metformine, lévodopa, lithium) ;
→ la xérostomie, la bouche sèche (antidépresseurs et antipsychotiques, diurétiques, antihypertenseurs, sédatifs, analgésiques, antihistaminiques) ;
→ des nausées et des vomissements (antibiotiques, opiacés, lévodopa, inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine);
→ des anomalies du goût (amphétamines, les antidépresseurs, amphétamines, ampicilline, aspirine, corticostéroïdes, diltiazem, lévodopa, metformine, antidépresseurs tricycliques) ;
→ des troubles olfactifs (amoxicilline, bêta-bloquants, inhibiteurs calciques, corticostéroïdes, lévodopa, statines, streptomycine) ;
→ une diminution de la motilité gastro-intestinale (antidépresseurs tricycliques, opiacés) et
→ des diarrhées (antibiotiques à large spectre, inhibiteurs de la pompe à protons, antiviraux).
Tous ces effets, et même l'odeur désagréable des médicaments, peuvent réduire la prise de nourriture et entraver un apport alimentaire suffisant et nutritif. Plus particulièrement, les personnes âgées sont susceptibles de prendre des médicaments qui peuvent nuire à l'audition, à la vision, à la mémoire et à la mobilité. Cette action des médicaments peut alors affecter la prise alimentaire en réduisant la capacité à acheter et à préparer des aliments ou à manger sans aide.
B. Les effets iatrogènes de la chirurgie, de l'hémodialyse et de l'irradiation sur la nutrition
Les problèmes nutritionnels sont des conséquences particulièrement fréquentes de la chirurgie du tractus gastro-intestinal.
→ La chirurgie gastrique peut entraîner des carences en vitamine B12, en folate, en fer et en thiamine, ainsi que des maladies osseuses métaboliques.
→ Après un pontage de l’intestin, les patients peuvent présenter des signes de problèmes nutritionnels tels que la perte de poids, une neuropathie, une arythmie cardiaque, la perte d'endurance ou des modifications de l'état mental.
→ La perte de substance osseuse est une conséquence majeure de nombreuses formes de traitement.
→ Les patients sous hémodialyse présentent des carences en carnitine et en choline, une déplétion en potassium et une hypovitaminose, ainsi qu'une ostéomalacie (ramollissement des os).
→ De plus, à cause de l’altération de l’acidité gastrique (suite à une opération) qui diminue l’assimilation des nutriments, les médicaments peuvent également avoir non seulement un effet négatif sur l'absorption des vitamines ou des oligo-éléments, mais aussi un impact négatif sur le MICROBIOTE intestinal, et entraîner une inflammation de la muqueuse du tube digestif. (Les médicaments particulièrement à craindre sont les antiacides, les antibiotiques, les laxatifs, les anti-inflammatoires, les médicaments hypoglycémiants, les médicaments hypolipidémiants, les antidépresseurs, les diurétiques).
C. Découverte d'inhibiteurs du transporteur de thiamine dans les médicaments de prescription
→ L'importance clinique des interactions médicaments-nutriments a été mise en évidence lorsqu'un essai clinique de phase III a été interrompu en raison d'effets indésirables graves résultant d'une inhibition puissante du transporteur de thiamine, cela créant une carence significative en vitamine B1.
→ La thiamine, ou vitamine B1, intervient dans la transformation du glucose en énergie et dans le métabolisme des acides aminés. Elle est essentielle au fonctionnement du système nerveux et semble indispensable à la mémorisation ainsi qu'aux facultés intellectuelles.
→ Plus de 28 médicaments administrés par voie orale, dont la metformine, sont susceptibles d'entraîner des interactions médicaments-nutriments qui interfèrent avec la production de la thiamine.
D. Les interactions médicaments-nutriments dans le cadre de l'utilisation chronique de médicaments couramment prescrits
L'utilisation à long terme de médicaments délivrés sur ordonnance ou en vente libre peut induire des carences en micronutriments subcliniques mais aussi cliniquement pertinentes, qui peuvent se développer progressivement sur plusieurs mois, voire plusieurs années.
Ces états de carence non reconnus peuvent faire penser à un état pathologique nouveau ou, tristement et faussement, ils seront mis au compte du processus de vieillissement lui-même. Combien de personnes déclarées séniles sont tout simplement médicamentées et en état de carences nutritionnelles sérieuses ?
Survolons les carences les plus courantes liées aux médicaments les plus souvent prescrits pour des affections couramment diagnostiquées chez les adultes américains, soit : les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) ; les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) (aspirine) ; les antihypertenseurs (diurétiques) ; les hypolipémiants (statines); les hypoglycémiants oraux (metformine) ; les corticostéroïdes et les bronchodilatateurs ; les antidépresseurs ISRS ; les contraceptifs oraux.
→ L'utilisation des IPP peut compromettre le statut en B12, en particulier chez les personnes âgées et celles atteintes d'une infection à H. pylori,
→ altérer davantage le statut en fer chez les patients anémiques,
→ causer un risque accru de fracture et contribuer à l'ostéoporose.
→ L'utilisation des IPP peut également réduire l'absorption du magnésium, du zinc et du bêta-carotène.
→ L'aspirine altère l'absorption de la vitamine C dans les leucocytes, et peut diminuer le statut en fer chez les personnes âgées, en particulier celles qui sont infectées par H. pylori.
→ Il est intéressant de noter qu’une supplémentation en vitamine C peut prévenir les lésions gastriques induites par l'aspirine.
→ Les diurétiques de l'anse (ils agissent sur le rein) augmentent l'excrétion du calcium et peuvent altérer l'équilibre calcique chez les personnes âgées. Leur utilisation est également associée à une carence en thiamine. Les diurétiques thiazidiques, en revanche, n'ont pas d'effet négatif sur l'équilibre calcique, mais les deux types de diurétiques peuvent réduire le taux de magnésium et entraîner une hypokaliémie en raison de l'augmentation de l'excrétion urinaire de potassium.
En outre, l'utilisation de thiazides peut entraîner une déplétion tissulaire en zinc. Les inhibiteurs de l'ECA (enzyme de conversion de l'angiotensine)., en particulier le captopril, peuvent également altérer le statut en zinc, ce qui est préoccupant chez les personnes âgées et les autres personnes sensibles.
→ L'utilisation de statines diminue le taux sérique de CoQ10, en particulier chez les personnes âgées, et peut avoir un impact négatif sur le statut des vitamines liposolubles, D, C et E, ainsi que sur le taux de zinc.
Le coenzyme Q10 appelé plus couramment co-Q10 est une substance naturellement présente dans l’organisme, similaire à une vitamine. C’est un puissant antioxydant qui est aussi nécessaire à la production d’énergie par le corps humain. Il agit contre le vieillissement et l’oxydation de notre organisme. Il entre en jeu dans la production cellulaire d'énergie. Les sources alimentaires végétales du co-Q10 sont le soja, les arachides, les pistaches.
→ Les statines entraînent aussi des changements dans les taux circulants de β-carotène et de vitamine E.
→ La metformine altère le statut en B12 chez les personnes sensibles, alors qu'une supplémentation concomitante en cette vitamine peut prévenir une carence et le risque de lésions nerveuses irréversibles. Une supplémentation en calcium et de vitamine D peut réduire le risque de fractures et de perte osseuse avec l'utilisation de glucocorticoïdes. Ces médicaments ont une action anti-inflammatoire, et immunosuppressive.
→ L'utilisation de bronchodilatateurs et d'antidépresseurs ISRS peut compromettre la santé osseuse. Un supplémentation en calcium et en vitamine D pourrait prévenir cet effet.
→ Les contraceptifs oraux entraînent une perte osseuse.
→ Ils compromettent le statut en vitamines B6, B12, folate.
→ Ils abaissent les taux de magnésium et de calcium. → Ils abaissent les taux de vitamines C et E.
→ Ils augmentent les marqueurs de stress oxydatif.
CONCLUSIONS
L'utilisation de médicaments couramment prescrits et susceptibles d'avoir un impact négatif sur l'état nutritionnel est en augmentation.
Les affections qui entraînent l’utilisation de médicaments à long terme dans une population adulte mal nourrie connaissent une prévalence croissante. Impossible de nier que les implications potentielles pour la santé publique de cet état de fait sont profondes.
Il serait logique que chaque patient reçoive le conseil de consommer une quantité et une variété suffisantes d'aliments denses en nutriments quotidiennement pour répondre aux besoins accrus causés par la ou les médications.
Certaines études indiquent que, à défaut de bien manger, de nombreux adultes conscients des lacunes potentielles de leur régime alimentaire prennent un complément alimentaire, le plus souvent une préparation de multivitamines/minéraux pour compenser.
Ces adultes qui prennent un supplément de multivitamines et de minéraux à spectre complet sont moins susceptibles que les autres d'être déficients en micronutriments.
Les études d'intervention confirment que la supplémentation en vitamines et minéraux permet de combler les besoins en micronutriments et améliore l'état nutritionnel, même chez les adultes en bonne santé.
Également, à défaut de l’établissement d’une saine nutrition à base d’aliments végétaux entiers, un nombre croissant de preuves soutient l'utilisation des suppléments de vitamines et minéraux dans la PRÉVENTION de certaines maladies chroniques, en particulier à long terme.
Prenons conscience que les médicaments peuvent affecter l’état nutritionnel du patient.
Donnons au patient les suggestions diététiques appropriées afin de permettre une efficacité et une sécurité maximales de la thérapie médicamenteuse tout en préservant et corrigeant l’état nutritionnel.
© 2023 Danièle Starenkyj
RÉFÉRENCES
1. Emily S. Mohn et coll., Review Evidence of Drug–Nutrient Interactions with Chronic Use of Commonly Prescribed Medications: An Update, Pharmaceutics, 2018.
2. Claudia D'Alessandro et coll., Interactions between Food and Drugs, and Nutritional Status in Renal Patients: A Narrative Review, Nutrients, 2022.
3. Emmanuella Chinonso Osuala et coll., Knowledge, attitudes and practices of healthcare professionals regarding drug-food interactions: a scoping review, Int J Pharm Pract, 2021.
4. Björn Viðar Aðalbjörnsson et coll., Food-Drug Interaction in Older Adults, Interdisciplinary Nutritional Management and Care for Older Adults, 2021.
5. R C Young et coll., Iatrogenic nutritional deficiencies, Annu Rev Nutr, 1982.
6. Bianca Vora et coll., Drug–nutrient interactions: discovering prescription drug inhibitors of the thiamine transporter ThTR-2 (SLC19A3), The American Journal of Clinical Nutrition, January 2020.
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