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Danièle Starenkyj

LE RETOUR DU SCORBUT ET LA MALBOUFFE

Tout au long de l’histoire, on doit constater que le scorbut, un trouble nutritionnel causé par une carence en vitamine C, a décimé les croisés médiévaux, les explorateurs sur mer et sur terre européens et britanniques de la Renaissance. Puis il y eut la grande famine irlandaise de la pomme de terre (une bonne source de vitamine C), la guerre civile américaine, l'expédition du pôle Nord et la ruée vers l'or en Californie… Le scorbut a une profonde signification historique et a frappé les populations humaines pendant des siècles.


LE SCORBUT AUJOURD’HUI


Bien des médecins croient que le scorbut a disparu. On l’a oublié, on l’ignore, mais des études affirment qu’il est toujours présent. On parle alors de scorbut subclinique (silencieux, sans symptômes visibles ou perçus) dans de grandes tranches de la société :


→ les personnes âgées qui suivent un régime de thé noir et de pain blanc grillé ;


→ les personnes qui suivent des régimes restrictifs (par exemple, en raison d'une allergie alimentaire, d’une mauvaise dentition ou de troubles mentaux) ;


→ les personnes victimes de sans-abrisme et d’insécurité alimentaire qui n'ont pas un accès de base aux fruits et légumes (tout comme les croisés, les marins, les soldats d’autrefois) ; 


→ les personnes alcooliques qui ont un régime alimentaire gravement déséquilibré ;


→ les fumeurs de tabac, de marijuana et autre herbe (mon père qui a donné « Le plan de 5 jours pour cesser de fumer » à plus de 25 000 Québécois disait que fumer une seule cigarette détruisait la quantité de vitamine C présente dans une orange) ;


→ les femmes enceintes ou allaitantes ;


→ les nourrissons nourris au lait de vache reconstitué ou aux substituts de lait sans supplément de vitamine C ;


→ les enfants qui ont des troubles psychiatriques de l'alimentation tels que le trouble de l'évitement/restriction alimentaire et l'anorexie mentale ;


→ un autre groupe à risque chez qui le scorbut a été signalé est celui des enfants atteints de troubles du spectre autistique qui ont un régime alimentaire pauvre en fruits et légumes ;


→ le scorbut peut survenir chez les patients présentant un excès de fer lié à des pathologies telles que la thalassémie ou la drépanocytose, ou à une greffe de moelle osseuse antérieure, car une surcharge en fer peut précipiter la manifestation du scorbut ;


→ les personnes atteintes du SIDA (syndrome d'immunodéficience acquise), d'une maladie intestinale inflammatoire ou d'un diabète de type 1, ces maladies réduisant l’absorption de vitamine C dans l’organisme ;


→ les personnes qui prennent à long terme certains médicaments comme les corticostéroïdes ou les inhibiteurs de la pompe à protons, qui peuvent altérer l'absorption et la biodisponibilité de la vitamine C dans l'alimentation ;


→ les personnes malades ou obèses qui ont subi des chirurgies abdominales, telles que la résection de l'intestin grêle ou la chirurgie bariatrique, qui affectent l'absorption intestinale de la vitamine C, entre autres ;


→ les personnes sous dialyse.


POURQUOI TANT DE PERSONNES TOUCHÉES ?


La consommation habituelle et même quotidienne de la malbouffe et de ses mets les plus populaires tels que les pizzas, les hamburgers, les aliments frits et les boissons gazeuses, tous des aliments dépourvus de vitamine C, doublée d’une diminution importante de la consommation de fruits et de légumes frais a fait réapparaître au 21e siècle la carence en vitamine C chez les bambins, les enfants, les adolescents, les adultes, et les séniors.


• 90 % de la vitamine C (acide ascorbique) présente dans l'alimentation provient des FRUITS et des LÉGUMES.


• Un manque ou une insuffisance de ces aliments entraîne régulièrement une carence.


• La vitamine C est sensible à la chaleur, aux rayons ultraviolets et à l'oxygène.


• L’absence de crudités dans le régime, la cuisson excessive des fruits et légumes, la non récupération des eaux de cuisson entraînent toujours de grandes pertes en vitamine C.


• La consommation quotidienne d’agrumes, de tomates, de brocoli, de petits fruits, de chou, de pommes de terre, de poivrons, de chou-fleur, de paprika, d’épinards, etc., protège contre la carence en vitamine C.

LES EFFETS PROTECTEURS DE LA VITAMINE C


L'acide ascorbique (vitamine C) est un agent qui agit comme un donneur d'électrons essentiel dans plusieurs réactions biochimiques et activités enzymatiques. Il est impliqué dans plusieurs processus biologiques dont :


• La synthèse du COLLAGÈNE qui se trouve dans la peau, les vaisseaux sanguins et les tissus mous. L'incapacité du corps à produire le collagène a des effets néfastes sur les fonctions des os et des fibroblastes (cellules du tissu conjonctif qui assure le soutien et la protection des organes), le développement des dents et la cicatrisation des plaies.


• La synthèse des NEUROTRANSMETTEURS : L'acide ascorbique est un cofacteur pour la production de la norépinéphrine (ou noradrénaline) indispensable pour relayer les signaux dans le système nerveux central.


• La synthèse de l'OXYDE NITRIQUE, un puissant vasodilatateur et messager chimique entre les 50 milliards de cellules qui composent notre corps.


• Le transport des ACIDES GRAS : L'acide ascorbique est nécessaire en tant que donneur d'électrons pour la synthèse de la carnitine, un acide aminé, qui permet le transport des acides gras à longue chaîne à travers la membrane mitochondriale qui permet la production d’énergie.


LES SIGNES CLINIQUES D’UNE CARENCE EN VITAMINE C


→ Les manifestations typiques du scorbut commencent à apparaître après 4 à 12 semaines d'apport alimentaire insuffisant en acide ascorbique.


→ Les premiers symptômes sont non spécifiques tels que la fatigue, l'anorexie, la raideur des articulations et des membres inférieurs, et l'irritabilité.


→ Les observations dermatologiques qui sont spécifiques de la carence en acide ascorbique comprennent :

- des ecchymoses au moindre coup ou à la moindre pression (bleus), purpura, pétéchies, xérose (peau sèche qui tiraille) ;


- des gonflements et saignements des gencives, avec déchaussement des dents ;


- des modifications de la pilosité corporelle (poils incarnés ou enroulés) et une croissance anormale des cheveux ;


- des ongles friables, mous, cassants, se décollant et se dédoublant facilement.


→ Les manifestations musculo-squelettiques de la carence en vitamine C comprennent


- des douleurs articulaires aux genoux, chevilles et poignets ;


- des contractures (contractions douloureuses et qui durent) articulaires dues à des saignements intra-articulaires ;


- des douleurs musculaires, des hémarthroses (épanchement de sang dans une articulation) et des saignements dans les muscles musculaires ;

- une diminution de la masse osseuse ;


- chez les enfants une claudication aiguë peut être la manifestation musculo-squelettique du scorbut. Une étude systématique menée par des médecins italiens sur le scorbut dans la population pédiatrique a révélé que 90 % des enfants présentant un scorbut souffraient de troubles musculo-squelettiques tels que l'arthrite et des douleurs dans les membres inférieurs, tandis qu'environ 33 % boitaient et/ou refusaient de marcher.


Rôle de la vitamine C dans le système immunitaire


La vitamine C joue un rôle essentiel dans la régulation et le fonctionnement du système immunitaire :


- elle joue un rôle crucial dans le maintien de l'intégrité des barrières cutanées et muqueuses contre les agents pathogènes ;


- les globules blancs accumulent l'acide ascorbique (vitamine C) à des concentrations 50 à 100 fois supérieures aux concentrations plasmatiques (dans le sang ou la lymphe).


Le rôle de la vitamine C dans la fonction pulmonaire


La vitamine C joue un rôle important dans la régulation du fonctionnement du système pulmonaire :


- en tant qu'antioxydant, l'acide ascorbique joue un rôle important dans la protection des tissus pulmonaires contre les espèces réactives de l'oxygène ;


- des études ont montré des données prometteuses sur l'effet de l'acide ascorbique intraveineux à haute dose dans l'amélioration de la fonction pulmonaire chez les personnes atteintes d'une pneumonie sévère à COVID-19.

Les manifestations gastro-intestinales de la carence en vitamine C


En raison de sa haute vascularisation et de sa grande surface, le tractus gastro-intestinal est couramment examiné à la recherche de saignements chez les patients souffrant d'anémie :


- des études récentes ont établi un lien entre la vitamine C et la fonction vasculaire endothéliale intestinale, et elles ont établi son effet bénéfique sur les veines et les artères de l’intestin ;


- des coloscopies peuvent révéler de multiples hémorragies intramuqueuses dans le cæcum et le côlon ascendant ;


- dans les cas où la cause de l'hémorragie gastro-intestinale est un suintement muqueux incontrôlé, un indice de suspicion élevé de carence en vitamine C est nécessaire ;


- des cas peu fréquents de scorbut se présentant sous la forme d'une hémorragie gastro-intestinale manifeste ont été rapportés avec émission de sang non digéré par l’anus et rougeur dans le rectum.


CONCLUSIONS


Incroyable mais vrai, la conclusion de toutes les études sur le scorbut moderne et ses multiples manifestations est qu’une supplémentation en vitamine C orale a les corrigées en quelques jours à quelques mois.


Oui, le scorbut est une maladie évitable qui peut avoir des conséquences graves si elle n'est pas traitée.

L'apport journalier nécessaire en vitamine C est d'environ 60 mg, et cette quantité de vitamine C peut être trouvée dans une orange de taille moyenne.


Une fois le scorbut suspecté, l’introduction de 500 mg par jour de vitamine C par voie orale dans le traitement rétablit l’état général de bien des patients.


Alors que le scorbut avait déjà tué plus de deux millions de marins entre le XVIe et le XVIIIe siècle, le chirurgien naval écossais James Lind montrait, en 1753, que le scorbut pouvait être soigné avec succès -- mais aussi évité -- par la simple ingestion quotidienne de jus de citron fraîchement pressé.


Qu’on le veuille ou non, les fruits et les légumes frais sont indispensables pour la santé. Cessons de les bouder !


© Danièle Starenkyj 2023

ÉTUDES CONSULTÉES

1. Ivan Krečak et coll., Scurvy, Acta Dermatovenerol Croat, 2022.

2. Fnu Amisha et coll., Scurvy in the Modern World: Extinct or Not? Cureus, 2022.

3. Minou R Snijders Blok et coll., [Scurvy still occurs], Ned Tijdschr Geneeskd, 2023.

4. Massimo Montalto et coll., Scurvy: A Disease not to be Forgotten, Nutr Clin Pract, 2021.

5. Orawan Iamopas  et coll., Scurvy in children - A neglected disease? Pediatr Int, 2022.

6. Priya Kothari et coll., The risk for scurvy in children with neurodevelopmental disorders, Spec Care Dentist, 2020.

7. Daniela Masci et coll., When the limp has a dietary cause: A retrospective study on scurvy in a tertiary Italian pediatric hospital, Front Pediatr, 2022.

8. Yazmeen Tembunde et coll., Scurvy: A Diagnosis Not to Be Missed, Cureus, 2022.

9. Mustafa Gandhi et coll., Scurvy: Rediscovering a Forgotten Disease, Diseases, 2023

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