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Danièle Starenkyj

MON PÈRE ET LES MARGUERITES

Mon père était connu des médias canadiens comme « l’apôtre des fumeurs ». Entre les années 1967 et 1984, il s’était adressé personnellement par le biais du Plan de 5 jours pour cesser de fumer 1-- une thérapie de groupe très appréciée -- à plus de 25 000 fumeurs francophones au Québec, au Nouveau-Brunswick et dans l’Est de l’Ontario pour leur enseigner avec succès qu’ils pouvaient choisir de ne plus fumer.


Fondateur en 1976 du Conseil québécois sur le tabac et la santé (CQTS)2, il croyait fortement à la nécessité d’éduquer le grand public sur les méfaits du tabac tout en lui offrant les moyens d’en être libéré. Parmi les actions de lutte sociale qu’il avait alors proposées, il y avait :


→ l’interdiction de toute publicité favorable au tabac

→ la défense de fumer dans les endroits publics et

→ l’obligation « d’imprimer clairement les méfaits du tabac sur le devant du paquet ».


À la barre du CQTS pendant 17 ans, puis nommé membre honoraire à vie, à l’occasion du 25e anniversaire de cet organisme, mon père, alors âgé de 85 ans, s’était adressé aux militants de la lutte antitabac avec la même fougue qu’au début de son action, et les avait fortement encouragés à poursuivre leur mission.

Dessin au fusain de mon père par Stefan Starenkyj, 1975


En 2000, mon père s’était réjoui de la loi fédérale sur le tabac exigeant la reproduction, en rotation, d’une série de 16 mises en garde, avec images, pour chaque marque de cigarettes, sur chaque paquet, portant notamment sur le cancer, les maladies cardiaques, les maladies pulmonaires et la fumée ambiante … Il s’est endormi en 2003, avant de voir, grâce aux labeurs combinés de plusieurs organismes, ses efforts couronnés de succès dans la loi québécoise interdisant de fumer dans les lieux publics en mai 2006.


Offrant ses sincères condoléances à notre famille en deuil, le Dr Marcel Boulanger, alors président du CQTS, avait décrit ainsi mon père : « Cet homme de cœur et de conviction a contribué à force de ténacité à amorcer un changement de mentalité majeur au sein de notre société. »


Au cours de son long combat pour la libération des fumeurs et la protection des non-fumeurs, on avait aussi traité mon père de « Don Quichotte des temps modernes ». Et pour cause ! Pendant que les géants du tabac réalisaient des affaires en or, il était parti en quête de « l’impossible rêve » : une société libre de tabac.


Oui, mon père était un visionnaire mais aussi, et surtout, un homme d’action qui croyait aux résultats possibles d’une noble cause poursuivie sans se relâcher. Aujourd’hui, les lois interdisant de fumer dans les endroits publics et la contre-publicité tabagique par des avertissements de santé sur les produits de tabac ont littéralement fait le tour du monde.

Mon père était aussi un homme de foi. Son audace, sa détermination à toute épreuve, sa hardiesse et sa témérité, avaient pour motivation cette certitude que la modération -- quand il s’agit d’une quelconque substance addictive, toxique, cancérogène et tératogène -- N’A PAS bien meilleur goût. Il savait que pour tout fumeur que ce soit d’un, deux, trois ou quatre paquets par jour – chose courante à l’époque -- l’abstention seule donnerait la délivrance.


Oui, mon père chérissait le concept élevé de la maîtrise de soi. Sa vaste expérience dans le domaine des toxicomanies l’avait convaincu que de nombreuses substances socialement sanctionnées – quelle que soit la dose utilisée – avaient la capacité de transformer l’être humain en esclave pour détruire non seulement sa santé mais aussi, et surtout, sa dignité.

Je suis très fière de l’action positive de mon père dans notre société québécoise et de sa portée mondiale. Mais laissez-moi vous présenter cette image toute simple de mon père que je chéris particulièrement dans mon cœur.

C’était le printemps. Le gazon poussait vite et mon père aimait tondre sa pelouse. Un jour, j’arrive chez lui alors qu’il vient tout juste de terminer son travail. Et que vois-je ? Partout des touffes de marguerites qui ont fièrement échappé à sa tondeuse. Je m’exclame : « Papa, qu’as-tu fait ? » Il me regarde surpris comme si cela devait être évident : « N’est-ce pas joli, Danièle ? Et puis, ça fera sourire les passants… »


Ce jour-là, j’ai compris que mon père était aussi un poète…


©2020 Danièle Starenkyj

1.Starenkyj Danièle, « Comment cesser de fumer » -- selon la méthode du Plan de 5 jours pour cesser de fumer, dans LA SANTÉ TOTALE, p. 283-305, Orion.

2. Gagnon Francine, Bujold Mario, Si le CQTS m’était conté, Conseil québécois sur le tabac et la santé, juin 2002.


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