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  • Danièle Starenkyj

LES REMÈDES DE MON ENFANCE

Aujourd’hui, s’il était vivant, mon père aurait 104 ans. Aux lendemains de la Deuxième mondiale, il avait décidé de devenir VÉGÉTARIEN dans une société qui cherchait à rattraper le temps perdu et qui se lançait tête baissée dans le matérialisme : il fallait reconstruire, il fallait profiter au maximum d’une vie essoufflée, anéantir les privations et les biffer à jamais. Personne ne comprenait comment on pouvait, en temps de paix, continuer à manger comme en temps de guerre…


Pas de viande ? Pas d’alcool ? Pas de café ? Pas de tabac ? Du riz brun ? Du pain noir ? Pas possible !


Mon père était un homme de conviction et de vision. Il voyait plus loin, beaucoup plus loin, que les mirages publicitaires qui éblouissaient la génération traumatisée de l’après-guerre alors qu’elle noyait ses douleurs dans le travail et se consolait en faisant bonne chère, en étant bien en chair, et en se convainquant que le progrès sauverait le monde.


LES REMÈDES SIMPLES DE MON PÈRE


Mon père avait non seulement choisi d’être végétarien mais il croyait aussi aux remèdes simples, ceux que la nature offre. En voilà une petite liste :


LA LEVURE DE BIÈRE

Une fois la soupe aux légumes bien épaisse servie et encore fumante, mon père mettait dans notre assiette une bonne cuillère à soupe de levure de bière. Cette levure avait un goût amer, mais son amertume était rachetée, disait mon père, par sa grande richesse en vitamines B, et particulièrement sa forte teneur en vitamine B12. C’était aussi une excellente source de protéines végétales. Elle nous promettait un système nerveux solide, un cerveau vif, et une belle peau. Aujourd’hui on parle de levure nutritionnelle ou alimentaire au goût plus doux, mais en gros, c’est la même chose.


L’HUILE DE FOIE DE MORUE

Je soupire encore en pensant à la grosse bouteille que Maman sortait du placard de la cuisine et dont il fallait avaler, sans faire trop de grimaces, une pleine cuillère. Mais Papa disait qu’ainsi nos jambes et notre dos seraient bien droits et que nous aurions alors un port distingué, signe d’assurance et d’équilibre.


LE PAIN COMPLET

Nous vivions près de la frontière et Papa allait chercher dans une boulangerie suisse un pain artisanal fabriqué avec des grains entiers. C’était du pain « noir » et avait une saveur fabuleuse. Il nous en taillait de grosses tartines et les recouvrait avec de la confiture d’orange que Maman faisait. Ce pain nous coupait la faim pendant des heures. Papa nous encourageait à bien mastiquer et il nous assurait qu’avec cette miche solide, nous n’aurions pas de problème de constipation. (Le mot fibre ne figurait pas encore dans le langage scientifique.)

LE MACÉRÂT HUILEUX D’ARNICA

Une vieille amie de la famille le fabriquait elle-même avec beaucoup de soins. Elle nous en donnait une bouteille chaque année. Dès le moindre bobo, Maman sortait la bouteille et nous massait le bleu, la bosse, ou encore les mollets qui nous faisaient mal à force de faire du patin à roulettes à toute vitesse toute la journée sur les trottoirs de notre quartier. Ce produit nous consolait, mais aussi il nous rendait très hardis car si on se faisait mal, on avait l’assurance que ce remède nous guérirait.


LES COMPRESSES RÉCHAUFFANTES

Les maux de gorge ne résistaient pas à ces compresses d’eau très froide enroulées autour du cou et recouvertes d’une écharpe en laine bien serrée. L’hydrothérapie était surtout le fort de Maman. Elle nous expliquait que le froid forçait le corps à réchauffer notre gorge, et il le faisait en y augmentant la circulation du sang, ce qui calmait l’inflammation et atténuait la douleur. J’avoue qu’encore aujourd’hui c’est mon premier remède dès la moindre sensation de mal de gorge. Et il est toujours aussi efficace !


LES CHAUSSETTES MOUILLÉES

Au moindre signe de fièvre, Maman nous enfilait des chaussettes fines en coton trempées dans l’eau froide et essorées, puis recouvertes de chaussettes épaisses en laine. Passé le premier choc du froid, nos pieds se réchauffaient et nous nous endormions profondément pour nous réveiller… guéris !


RETOUR D’EXPÉRIENCE


En fait, à part de petits maux, je n’ai pas le souvenir de grosses maladies, de visites anxieuses chez le médecin, de séjour prolongé à l’hôpital. Nous mangions assis à table trois fois par jour les repas que Maman cuisinait avec les légumes frais achetés au marché. Papa priait et demandait la bénédiction de Dieu sur nos aliments et nous rappelait que manger à sa faim était un privilège dont beaucoup d’enfants sur cette terre étaient privés. On allait à l’école à pied et faisions le trajet matin, midi et soir. Nous n’apportions pas de collations. En fait, cette mode n’existait pas encore. Nous partions à l’école le matin après un déjeuner costaud, et le midi après un dîner solide, et, parole d’honneur, nous ne sentions la faim que lorsqu’on rentrait à la maison et que l’on humait l’odeur alléchante des bons plats de Maman. On faisait nos devoirs puis on allait jouer dehors jusqu’au souper. Après la vaisselle, on lisait puis on se couchait tôt. Maman fermait les volets (en été, il faisait encore jour) et, pas question de rechigner, on dormait à poings fermés.


Mon amie le Dr Élisabeth Colmant aimait bien faire cette réflexion :


« Quand on a raison 24 heures avant les autres, on passe pour avoir perdu la raison pendant 24 heures. »


Que dire de mon père et de ma mère qui avaient raison au moins 50 ans avant les autres ? Ils conservent jusqu’à ce jour toute mon admiration.


© 2022 Danièle Starenkyj

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