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  • Danièle Starenkyj

LA PRISON PLUTÔT QUE LA SOLITUDE ?

Des hommes et des femmes japonais, fuyant la solitude, décident de commettre volontairement des larcins – dans neuf cas sur dix, des vols à l’étalage – et se font incarcérer. Ils se retrouvent satisfaits avec un toit sur la tête, des repas réguliers, et de la COMPAGNIE. Libérés, ils répètent leur mauvais coup pour retourner « chez eux ». Certains vont jusqu’à dire : « La prison pour moi est un lieu de détente et de confort… Il y a plein de gens pour parler. »


Du monde entier, depuis 2015, nous parviennent des affirmations choc : la solitude, celle qui découle de l’isolement, est l’un des pires ennuis des aînés, nous disent les chercheurs sur le vieillissement. Elle produit un taux de mortalité de 25 % à 50 % plus élevé que celui des personnes socialement actives.

Que l’isolement soit objectif – la personne est seule – ou suggestif – la personne se sent seule – les résultats de recherche ne sont pas différents. Les résultats restent cohérents selon le sexe, la durée du suivi, et la région du monde. Par contre, les résultats diffèrent selon l’âge : Ce ne sont pas seulement les personnes âgées qui souffrent des effets de la solitude mais toutes les tranches d’âge et avec des résultats plus graves chez les personnes plus jeunes.


Des chercheurs sonnent l’alarme : nous sommes actuellement confrontés à une épidémie de solitude et ils annoncent une crise de santé publique. Ils affirment haut et fort que les liens sociaux doivent, en tout temps, en tout lieu, à tout âge, demeurer une priorité pour tous.


Que penser alors de l’isolement social massif en réponse à la COVID-19 ?


La science est catégorique : dans les temps de détresse ou de catastrophe, c’est la résilience des individus qui leur permet de les surmonter. Or, la résilience humaine, indubitablement, dépend de la richesse et de la force des liens sociaux qui se tissent et se fortifient par un engagement actif dans des groupes et des communautés.


Plusieurs disciplines le soutiennent très clairement : l’isolement social peut être la menace la plus puissante pour la survie et la longévité. Par contre, leurs alliés les plus sûrs sont des liens sociaux créés et maintenus avec soin et gratitude tout au long de la vie. Pourquoi ?


Le sentiment d’exclusion produit :


→ de plus grandes quantités de molécules inflammatoires (fibrinogène) dans le sang. Ces molécules d’inflammation altèrent sur le long terme le fonctionnement des cellules et augmentent le risque de maladies chroniques et de mortalité précoce (le fibrinogène est un marqueur

d’inflammation et de risques cardiaques) ;

→ modifie l’expression de certains gènes, notamment ceux qui codent pour la fabrication des globules blancs, ces cellules qui jouent un rôle primordial de défense de l’organisme. Leur altération entraîne un bouleversement des réponses du système immunitaire. Le corps se défend alors moins bien contre les bactéries et les virus. Les personnes qui souffrent de solitude ont un risque plus élevé de souffrir d’infections – du simple rhume à des infections chroniques plus graves ;

→ place le corps dans un état d’alerte. Les solitaires ont une résistance vasculaire plus élevée, soit un durcissement artériel qui élève la tension. L’hypertension qui en résulte oblige le cœur à travailler plus dur et peut contribuer à l’usure prématurée des vaisseaux ;

→ des marqueurs moléculaires de stress élevés qui se signalent par un taux élevé de cortisol dans la salive, et d’adrénaline dans l’urine. La solitude semble vouloir préparer le corps à un danger à venir. C’est le signe que les liens sociaux de l’individu sont devenus trop faibles ;

→ des risques comportementaux : la solitude pousse trop souvent à la consommation d’alcool, aux excès alimentaires, à la sédentarité, et, comme on le remarque de plus en plus au Japon par exemple, aux agressions violentes.


L’amitié, le facteur le plus important pour notre bien-être


Cette affirmation n’est pas le fait de philosophes, mais bien de scientifiques de divers horizons. Ils nous disent, preuves à l’appui, qu’établir des liens et les entretenir est un facteur de santé qui vaut tout le temps qu’on y investit. Et d’un article à l’autre, on rencontre de curieux conseils pour notre monde postmoderne : appartenir à un club, faire du bénévolat, s’investir dans sa communauté, fréquenter une église, chanter dans une chorale, pratiquer un sport d’équipe, sont fortement recommandés en tant que facteurs de santé dont personne n’a le luxe de se passer.

N’est-il pas temps d’aligner nos comportements personnels et sociaux sur les connaissances scientifiques actuelles ? Au final, elles nous ramènent à la réalité, millénaire et incontournable, de notre besoin profond des autres et du bonheur qu’il y a à se tourner vers eux pour leur faire du bien. Les autres donnent à notre vie un sens et un but valable, un sens d’appartenance qui conjure la solitude, et la dépression qui s’y rattache toujours.


Ainsi, oui, si être seul est une grave souffrance, ces personnes âgées japonaises qui choisissent d’être en prison plutôt que toutes seules dans la rue, n’agissent pas de façon si paradoxale que ça…


©2020 Danièle Starenkyj

•Julianne Holt-Lunstad, Loneliness and Social Isolation as Risk Factors for Mortality, Perspect Psychol Sci, mars 2015, 10, 2, 227-237.

•Julianne Holt-Lunstad, The Potential Public Health Relevance of Social Isolation and Loneliness: Prevalence, Epidemiology, and Risk factors, Public Policy & Aging Report, Vol. 27, Issue 4, 127-130, 2017.

•Steven W. Cole, et coll., Myeloid differentiation architecture of leukocyte transcriptome dynamics in perceived social isolation, PNSA, 112, 49, 15142-15147, 2015.

•David A. Kim, et coll., Social connectedness is associated with fibrinogen level in a human social network, Proceedings of the Royal Society B, 24 août 2016.

•Bzdok Danilo, The Neurobiology of Social Distance, Trends Cogn Sci, S 1364, 3 juin 2020.

•DunbarR.I.M., The Anatomy of Friendship, Trends Cogn Sci, 22, 1, 32-51, janvier 2018.

•« De plus en plus de Japonais âgés se font arrêter pour profiter de la prison », LE MONDE, 14 janvier 2019.


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