LA MASTICATION, FACTEUR DE PROTECTION DU CERVEAU
La relation entre la qualité et la quantité de notre alimentation a été largement étudiée. On sait que la malbouffe est liée aux maladies non transmissibles qui sont le fléau de notre société postmoderne. On sait qu’une alimentation végétale à base d’aliments non transformés renverse efficacement ces maux et redonne force et vigueur.
• MAIS que savons-nous de l’impact de la DURETÉ des aliments de base sur la santé ?
• OU que savons-nous des effets d’une alimentation MOLLE sur les fonctions cérébrales et le comportement lié à l’humeur ?
Je vous invite à parcourir avec moi les études qui se sont penchées sur cette question fondamentale peu connue.
ALIMENTS DURS CONTRE ALIMENTS MOUS
Cette question a fait l’objet d’études animales et d’études humaines. Voici quelques-unes de leurs observations.
→ Une étude très récente (1) vient de faire une revue systématique de 5427 études pour évaluer l'effet de la dureté des aliments sur le comportement, la cognition et l'activation du cerveau chez les animaux et chez les humains.
• Les études retenues révèlent que certaines régions du cerveau sont activées selon que l’on consomme des aliments durs, exigeant une mastication appliquée, ou mous, et s’avalant sans effort. Il y a une association POSITIVE entre la mastication d'aliments durs, les performances cognitives et les fonctions cérébrales.
• Discutant de ces résultats, les auteurs ont tiré ces conclusions :
* Face aux problèmes de la démence et des autres troubles cognitifs qui sont une cause majeure d'invalidité et de dépendance chez les personnes âgées, ils suggèrent qu'une intervention précoce avec les « bons » aliments (végétaux entiers riches en fibres), les bons nutriments (vitamines, minéraux, antioxydants en abondance) et la bonne TEXTURE ou DURETÉ peut retarder l'apparition des troubles cognitifs.
* Il est troublant de constater qu’un déclin plus important des fonctions cérébrales est significativement associé à une altération de la fonction masticatoire (dents manquantes, dentier mal ajusté, malocclusion dentaire).
→ Une autre étude très récente également (2) a examiné les effets d'une alimentation molle sur les fonctions cérébrales et le comportement des souris dès leur plus jeune âge. Les souris nourries pendant six mois avec une alimentation molle ont connu une augmentation du poids corporel et du taux de cholestérol total, ainsi qu'une altération des fonctions cognitives et motrices, une augmentation de l'activité nocturne et une augmentation de l'agressivité.
• Lorsque ces souris sont revenues à une alimentation solide pendant trois mois, leur prise de poids a cessé, leur taux de cholestérol total s'est stabilisé, leur fonction cognitive s'est améliorée et leur agressivité a diminué, mais leur activité nocturne est restée élevée.
• Ces résultats suggèrent que la consommation à long terme d'une alimentation molle au cours du développement précoce peut influencer divers comportements associés à l'anxiété et à la régulation de l'humeur.
• La consommation précoce d'aliments durs peut être cruciale pour la promotion et le maintien d'une fonction cérébrale saine.
LA MASTICATION COMME OUTIL DE PRÉVENTION DES DYSFONCTIONNEMENTS COGNITIFS
Certes, vous devez vous dire : Pourquoi ? Comment ?
• Nous savons que la mastication est liée à sa fonction première de digestion.
• Nous ignorons son association avec l'activation de diverses régions du cerveau et ses effets sur l'activité des neurones dans ces régions spécifiques. Alors, prenons-en conscience.
→ La mastication induit des activités neuronales dans diverses régions du cerveau. Celles-ci augmentent ainsi le niveau d'oxygène dans le sang cérébral de l'HIPPOCAMPE et du CORTEX PRÉFRONTAL ce qui accentue le processus d'apprentissage et de mémorisation.
→ L'hippocampe est une région du système nerveux central qui joue un rôle essentiel dans l'apprentissage, le maintien de la mémoire spatiale, la formation et la récupération des souvenirs épisodiques chez l'homme. Il existe de multiples circuits neuronaux qui relient l'organe masticateur à l'hippocampe et ces circuits neuronaux aident à maintenir les fonctions cognitives dans l'hippocampe pendant la mastication.
→ Les glandes salivaires pendant la mastication produisent le facteur de croissance épidermique (il favorise la cicatrisation des tissus) et le facteur de croissance nerveux. La diminution de ce dernier facteur par insuffisance de mastication entraîne une augmentation de la sécrétion de CORTICOSTÉRONE, qui supprime l'excitabilité des neurones, diminue leur nombre dans l'hippocampe, et entraîne finalement la mort des neurones.
→ La réduction de la mastication entraîne une altération de la mémoire spatiale et de la fonction d'apprentissage en raison des changements morphologiques et de la diminution de l'activité dans l'hippocampe : il y a diminution des neurones, de la neurogenèse (formation de nouveaux neurones), et de l'expression du facteur neurotrophique dérivé du cerveau (BDNF) dans l'hippocampe, ce facteur qui augmente la plasticité du cerveau et protège la survie des neurones.
→ Une diminution du nombre de dents et donc de la capacité masticatoire a été reliée à une diminution du volume de matière grise autour de l'hippocampe, ainsi qu'une réduction du volume du lobe frontal, associé à la pensée noble.
→ La mastication modifie l'activité de l'axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien et du système nerveux autonome. Elle diminue les taux de catécholamines et de corticostérone plasmatique qui augmentent dans des conditions de STRESS et atténue également l'oxyde nitrique et les facteurs neurotrophiques, qui sont des exemples de substances liées au stress.
→ La mastication peut être considérée comme un comportement d'adaptation au stress qui peut réduire les maladies induites par le stress.
→ Il est proposé que la mastication augmente le flux sanguin et stimule la perfusion (injection lente et continue) et l’oxygénation du cerveau.
LA MASTICATION ET LES TUMEURS CÉRÉBRALES
Cette étude a cherché à savoir si la mastication affecte la microglie. Il s’agit une population de cellules immunitaires (macrophages) que l'on retrouve dans le système nerveux central (cerveau, moelle épinière et rétine), et qui en forme la principale défense immunitaire active grâce à ses capacités d’absorber et de détruire les particules étrangères (phagocytose). Or, l'activité de la microglie serait associée à la cognition et à la progression des tumeurs cérébrales.
* Des souris ont été élevées en leur donnant une alimentation dure ou molle pendant 2, 4 ou 8 mois. * Après chaque période, les cerveaux entiers ont enlevé et la microglie a été isolée et analysée.
* De nombreux gènes se sont révélés être fortement exprimés de manière différente entre les souris nourries avec une alimentation dure et les souris nourries avec une alimentation molle dans chaque groupe de la même période d'alimentation.
* L'expression de plusieurs gènes impliqués dans la régulation du cytosquelette (la charpente de l'architecture de la cellule qui contrôle ses mouvements et les mouvements de ses structures internes) était régulée à la baisse chez les souris nourries avec une alimentation molle. Ce processus est responsable de la diffusion indésirable des cellules cancéreuses dans le système nerveux central.
* Ainsi, conclut cette étude, la mastication peut affecter les rôles que la microglie joue dans la faculté de connaître (cognition) ainsi que son activité neuro-immune protectrice de tumeurs cérébrales étant donné son rôle de surveillance dans le cerveau.
CONCLUSION
• Les résultats d'études humaines ont indiqué qu'un déclin plus important des fonctions cérébrales était fortement associé à la consommation habituelle d’aliments mous (produits raffinés, dépourvus de fibres ?) ou liquéfiés (la mode du smoothie ?); mais que la dureté des aliments (bâtonnets de carotte et autres légumes racines, pain intégral, noix, etc.) était associée à une plus grande activation des régions du cerveau responsables de la cognition.
• Prenons à cœur ces données qui, une fois de plus, nous ramènent à une alimentation paysanne-agricole et nous invitent à nous détourner de l’alimentation urbaine-industrielle qui nous dénature depuis les années 1950.
MOT DE LA FIN
• Je me rappelle ma belle-mère qui me racontait que son fils (mon mari) avait fait ses dents sur des gousses de caroube séchées.
* La trituration et la mastication précoces de ces fruits très fibreux lui avaient-elles développé une fonction cérébrale saine ? Impossible d’en douter.
• Mon père aimait répéter que pour être en santé, il fallait BIEN MÂCHER ET BIEN MARCHER.
* Une fois de plus, je souris et bénis sa mémoire. Papa avait raison.
© 2023 Danièle Starenkyj
RÉFÉRENCES
1. Khaled Al-Manei et coll., Food Hardness Modulates Behavior, Cognition, and Brain Activation: A Systematic Review of Animal and Human Studies, Nutrients, 2023.
2. Masae Furukawa et coll., Long-Term Soft-Food Rearing in Young Mice Alters Brain Function and Mood-Related Behavior, Nutrients, 2023.
3. Y Fukushima-Nakayama et coll., Reduced Mastication Impairs Memory Function, J Dent Res, 2017.
4. Gayathri Krishnamoorthy et coll., Mastication as a tool to prevent cognitive dysfunctions, Jpn Dent Sci Rev, 2018.
5. Priscila Chuhuaicura et coll., Mastication as a protective factor of the cognitive decline in adults: A qualitative systematic review, Int Dent J, 2019.
6. Mineaki Sek et coll., Mastication Affects Transcriptomes of Mouse Microglia, Anticancer Res, 2020.
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