DE L’HUILE DE FOIE DE MORUE À LA VITAMINE D
Je me souviens encore avec un certain frisson de la grosse bouteille d’huile de foie de morue que Maman sortait régulièrement du buffet de la cuisine pour nous en faire avaler une pleine cuillère « pour notre santé ». Nos grimaces, nos lèvres serrées, nos gigotements pour échapper à la potion soignable n’y faisaient rien. Frère et sœurs, nous finissions par céder… mais avec des pouah et des beurk retentissants.
C’était l’après-guerre. Nos parents craignaient le rachitisme, cette maladie qui avait tourmenté des générations d’enfants depuis la révolution industrielle. Ajoutée à un régime riche en fruits et en légumes, cette huile nous garantissait une nutrition optimale pour notre squelette et effaçait le risque d’avoir les jambes arquées en parenthèses ou en X. Depuis, je suis reconnaissante de la résistance de ma mère à notre opposition : nous avons les jambes bien droites.
LE RACHITISME ET LA RÉVOLUTION INDUSTRIELLE
Les populations étaient passées de la vie à la campagne à la ville, de la vie en plein air à une vie confinée à l’intérieur, et le ciel des cités surpeuplées était couvert d’un smog noir persistant produit par la combustion du charbon. Vers la fin du 19e siècle, des médecins mettent le rachitisme au compte de la pollution de l’air fonctionnant comme une barrière à la lumière du soleil et ses rayons bienfaisants. Le rachitisme est reconnu comme une maladie des personnes, enfants et adultes, hommes et femmes, vivant en milieu urbain, privés d’un ensoleillement bienfaisant et indispensable à la vie.
LES TEMPS MODERNES ET LA VITAMINE D
Au début des années 1900, l’héliothérapie devient à la mode dans les orphelinats, les hôpitaux. Puis on découvre les rayons ultraviolets artificiels. On établit qu’ils ont, tout comme les rayons naturels, une activité antirachitique. On fabrique des lampes à rayons ultraviolets. Et bien sûr, on isole finalement dans l’huile de foie de morue, la vitamine qui exerce son effet curatif sur le rachitisme. On l’appellera la quatrième vitamine ou vitamine D, à la suite de la découverte des vitamines A, B et C. L’usage « folklorique » de l'huile de foie de morue est amplement justifié. Elle est riche en vitamines A et D. Elle donne 4000 à 5000 UI de vitamine A et 400 à 500 UI de vitamine D par cuillère à café (5 ml). De plus, l’absorption de ces vitamines liposolubles par l'intestin est facilitée grâce aux sels biliaires également abondants dans l’huile de foie de morue.
LA CARENCE EN VITAMINE D : UNE ÉPIDÉMIE QUE L’ON IGNORE/ LA VITAMINE D : UN PROBLÈME MONDIAL AVEC DES CONSÉQUENCES SUR LA SANTÉ
Pourquoi au 21e siècle de tels titres dans la littérature scientifique ?
Une réponse courte est : l'identification du rôle important de la molécule de vitamine D dans les fonctions de plus de 200 gènes, et plus particulièrement de la fonction du système immunitaire.
Bien que traditionnellement considérée comme limitée à la pathologie osseuse, plus récemment, la carence en vitamine D a été liée à l'altération de l'immunité, à la réponse inflammatoire et à la dérégulation des voies du cancer. En fait, les composants cellulaires du système immunitaire possèdent des récepteurs de la vitamine D qui peuvent se lier à la forme active de la vitamine D. Ce fait a confirmé le rôle important de la vitamine D dans la régulation du système immunitaire et des maladies infectieuses.
VITAMINE D ET PATHOLOGIES DES VOIES RESPIRATOIRES
Au cours des deux dernières décennies, une pléthore d'articles a signalé le lien entre la déficience en vitamine D et les maladies infectieuses respiratoires. Des études observationnelles ont été réalisées sur le virus de la grippe, la tuberculose, le virus respiratoire syncytial (VRS) et d'autres maladies respiratoires.
Une série d'études a montré que des niveaux plus faibles de vitamine D dans le sérum sont associés à un risque accru d'infections respiratoires chez les nourrissons, les enfants et les adultes. La vitamine D semble agir comme un puissant modulateur du système immunitaire, en empêchant l'expression excessive de cytokines inflammatoires et en augmentant le potentiel d’explosion oxydative des macrophages activés. Cette vitamine stimule l'expression de puissants peptides antimicrobiens, présents dans les voies respiratoires, jouant un rôle majeur dans la protection des poumons contre les infections.
UN ARTICLE DATÉ DU 21 JUILLET 2021
Cet article affirme que la carence subclinique en vitamine D est encore largement répandue (et ignorée) dans les pays développés et en développement, avec une prévalence mondiale allant jusqu'à 1 milliard.
Pourquoi ? Notre monde connaît :
→ Une diminution de l’apport alimentaire fortifié en vitamine D : les personnes allergiques aux produits laitiers ou ne consommant pas de produits animaux sont à risque. Elles doivent veiller à avoir une source sûre de vitamine D.
→ Une diminution de l’absorption de la vitamine D liée à des syndromes répandus de malabsorption -- maladie cœliaque, le syndrome de l'intestin court, le bypass gastrique, les maladies inflammatoires de l'intestin, l'insuffisance pancréatique chronique et la mucoviscidose peuvent entraîner une carence en vitamine D.
→ Une diminution de l’exposition au soleil. Environ 50 à 90 % de la vitamine D est absorbée par la peau grâce au soleil, le reste provenant de l'alimentation. Vingt minutes d'ensoleillement quotidien avec une exposition de plus de 40 % de la peau sont nécessaires pour prévenir une carence en vitamine D. L'exposition effective au soleil est réduite chez les personnes qui utilisent systématiquement des écrans solaires, qui ont une peau noire, brune ou jaune liée à un taux de mélanine plus élevé, qui fuient la chaleur excessive et restent constamment ou presque à l’intérieur – à la lumière de leurs écrans ?
→ Une diminution de la synthèse endogène liée à une maladie chronique du foie, comme une cirrhose, ou l’insuffisance rénale.
→ L’usage de médicaments comme le phénobarbital, la carbamazépine, la dexaméthasone, la nifédipine, la spironolactone, le clotrimazole et la rifampicine qui induisent des enzymes hépatiques qui activent la dégradation de la vitamine D.
DES CHIFFRES QUI INQUIÈTENT
Aux États-Unis, environ 50 à 60 % des résidents de maisons de retraite, des patients hospitalisés, et des obèses ont une insuffisance en vitamine D. Dans la population adulte américaine, 35 % souffrent d’une carence en vitamine D, et 61 % de la population âgée présente une carence en vitamine D.
Malgré l'abondance du soleil au Moyen-Orient permettant la synthèse de la vitamine D tout au long de l'année, la région enregistre des taux de vitamine D parmi les plus bas, et les taux d'hypovitaminose D les plus élevés au monde. Au Pakistan, en Inde et au Bangladesh, 80 % de la population présentent une carence en vitamine D. Cette carence peut être qualifiée de culturelle, liée au mode de vie.
La déclaration que la carence en vitamine D est un problème de santé publique mondial n’est pas outrée. Environ un milliard de personnes dans le monde présentent une carence en vitamine D, tandis que 50 % de la population présente une insuffisance en vitamine D.
Ces chiffres sont d’autant plus alarmants que la liste des maladies reliées à la carence en vitamine D est maintenant impressionnante : une carence en vitamine D3 peut entraîner l'obésité, le diabète (de type 1 particulièrement), l'hypertension, la dépression, la fibromyalgie, le syndrome de fatigue chronique, l'ostéoporose et des maladies neurodégénératives, notamment la maladie d'Alzheimer. La carence en vitamine D peut contribuer au développement de cancers, en particulier les cancers du sein, de la prostate et du côlon, ainsi que de maladies cardiaques, d'accidents vasculaires cérébraux, de maladies auto-immunes, de malformations congénitales et de maladies parodontales.
CONCLUSION
Les directives diététiques pour les Américains 2015-2020 de l’apport journalier en vitamine D a été établi à 4000 unités internationale, soit dix fois plus qu’au 20e siècle. La vitamine D est une vitamine liposoluble, par conséquent, une toxicité est possible, bien que rarement observée. L'hypervitaminose D résulte d'un apport oral excessif et non d'une exposition excessive au soleil. Le système de la vitamine D humaine commence dans la peau, et non dans la bouche. Cessons d’oublier que la vie est enfant du soleil.
©2021 Danièle Starenkyj
SOURCES
• Arash Hossein-Nezhad et coll., Impact of air pollution on vitamin D deficiency and bone health in adolescents, Arch Osteoporos, décmebre 2017.
• Philippe Hernigou et coll., Vitamin D: part II; cod liver oil, ultraviolet radiation, and eradication of rickets, Int Orthop, mars 2019.
• Philippe Hernigou et coll., Vitamin D history part III: the "modern times"-new questions for orthopaedic practice: deficiency, cell therapy, osteomalacia, fractures, supplementation, infections, Int Orthop, juillet 2019.
• Benjamin J. Wheeler et coll., A Brief History of Nutritional Rickets, Front. Endocrinol., 14 novembre 2019.
• Mingyong Zhang et coll., “English Disease”: Historical Notes on Rickets, the Bone–Lung Link and Child Neglect Issues, Nutrients, Novembre 2016.
• Michael F Holick et coll., Vitamin D deficiency: a worldwide problem with health consequences, Am J Clin Nutr, avril 2008.
• Michael F Holick, Sunlight and vitamin D for bone health and prevention of autoimmune diseases, cancers, and cardiovascular disease, Am J Clin Nutr, décembre 2004.
• Dr Zahid Naeem, Vitamin D Deficiency- An Ignored Epidemic, Int J Health Sci (Qassim), 2010.
• Omeed Sizar et coll., Vitamin D Deficiency, StatPearls [Internet] Publishing, 21 juillet 2021.
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