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Danièle Starenkyj

IL ÉTAIT UNE FOIS UNE BETTERAVE

Je viens d’avoir le privilège d’être invitée dans une école primaire pour donner aux élèves de 5e et 6e année un atelier d’écriture. Oui, je dis bien, le privilège. S’adresser à des enfants pour leur faire découvrir de nouveaux horizons, les mener sur des chemins d’excellence, les convaincre qu’ils ont tous la liberté de faire des choix, et les encourager à réaliser leurs désirs profonds, est réellement une magnifique responsabilité qui mérite le meilleur de nous-mêmes.

M’adressant à ce groupe de 14 garçons et filles entre 10 à 12 ans, et leur racontant quelque peu mon parcours d’écrivain, je leur dis que pour écrire il fallait avoir une idée, mais que pour avoir une idée, une idée nouvelle, personnelle, il fallait savoir regarder autour de soi et écouter et le bruit et le silence. Il fallait aussi un calepin et un crayon toujours à la portée de la main pour noter ces idées qui nous viennent obligatoirement dès que l’on se met à être attentif aux autres, mais qui peuvent aussi nous échapper très vite. Le point de départ de toute écriture est tout simplement une idée, une bonne idée.

Sur ce, je tirai de mon sac une grosse betterave – récoltée dans mon jardin biologique l’automne dernier. La montrant à tous, je leur demandai : « Qu’est-ce ? » Ce groupe d’enfants – on me l’avait bien dit – issu d’un milieu défavorisé, ne sut pas reconnaître ce légume racine. L’ayant alors identifié pour eux – manifestement les betteraves qu’ils mangent, s’ils en mangent, viennent en boîte toutes épluchées et coupées en morceaux – je les invitai à rédiger les premières lignes d’une histoire de betterave. Sceptiques et déroutés, ils ne bougèrent pas.

Alors, je leur présentai ces quelques scénarios :

« Imaginez une betterave oubliée dans le jardin à l’automne, enfouie sous la neige tout l’hiver, et grelottant de froid. Ayant bravé de toutes ses force les intempéries jusqu’au printemps, un matin, le jardinier en remuant le sol la trouve. Oh ! une betterave, dit-il, je vais me régaler… surtout que ma réserve est épuisée. Il l’apporte à la cuisine, la fait cuire au four, puis se délecte de son goût sucré à souhait. Et voilà qu’après avoir été oubliée, le froid et même la glace ne l’avaient pas abîmée mais au contraire bonifiée… » « Ou encore, imaginez que la betterave abandonnée, retrouvée au printemps, a été lancée sur un tas de compost. Rejetée, elle a pris racine, s’est mise à faire des feuilles puis des graines… des dizaines de graines ! Des graines qui feront pousser à leur tour des tas de betteraves succulentes. Dans son adversité, cette betterave n’a pas été anéantie, mais elle s’est multipliée. »

Les enfants m’écoutaient sans dire mot, sans bouger un sourcil. Soudain, je les vis esquisser un sourire. Émue, je sus qu’ils avaient compris : abandonnée ou rejetée, la betterave était encore bonne, et même, elle était devenue meilleure, apportant plus de joie que les betteraves qui avaient été récoltées. J’eus le cœur qui battait la chamade. Je revins à mon atelier d’écriture. Les enfants se ressaisirent aussi et penchés sur leur feuille, ils se mirent à écrire. « Il était une fois une betterave… » La cloche sonna. Les enfants m’entourèrent, me serrèrent dans leurs bras, me demandèrent un autographe. Je quittai la classe avec ce sentiment puissant que ces jeunes défavorisés n’oublieraient jamais l’allégorie de la betterave et, oui, qu’ils sauraient, le moment venu, vaincre leur misère. Merci aux éducateurs et éducatrices qui aiment les enfants et leur donnent les outils -- écriture et lecture -- pour grandir et mûrir.

©Danièle Starenkyj 2018

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