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Danièle Starenkyj

LES NOËLS DE MON ENFANCE

Maman aimait particulièrement Noël. Elle y mettait tant de joie ! La joie de nous faire plaisir à nous, ses enfants. Elle ne manquait jamais de nous rappeler ses Noëls à elle, des Noëls qui, quand elle nous en parlait, remplissaient encore ses yeux de larmes.

Sa mère avait décidé de liquider les dettes de son mari maréchal-ferrant. Officier préposé au soin des chevaux, il ferrait les chevaux de la cavalerie, mais aussi les bœufs, les ânes, et les mulets des paysans du village. Homme sombre et taciturne – il avait quitté la maison à 14 ans, puis il s’était enrôlé dans l’armée – il avait accumulé des dettes qui faisaient honte à sa femme. N’en pouvant plus, elle lui avait annoncé un jour qu’elle prenait les finances de la famille en mains, et que désormais la priorité serait le remboursement de ces emprunts qui la blessaient dans son honneur.

C’est là que les larmes de maman commençaient à couler silencieusement sur ses joues. Pendant des années, Noël après Noël, elle avait espéré trouver quelque chose près de la cheminée, mais ses espoirs avaient été déçus à chaque fois. Rien, nulle part, pas même une orange… Les dettes n’étaient pas encore épongées… C’est pourquoi – Maman se remettait à sourire – il n’était pas question que nous vivions le même chagrin.

Maman et Papa montaient le sapin au salon le 24 au soir alors que nous, les enfants, étions enfermés dans la salle de séjour et attendions, électrifiés d’anticipation. Puis, nos parents nous appelaient. On se précipitait hors de la pièce et, figés sur le seuil de la grande pièce, la bouche bée, les yeux écarquillés, nous assistions à l’illumination du sapin décoré de cierges magiques qui projetaient des étincelles blanches dans tous les sens. On allumait alors les chandelles placées dans des bougeoirs à pince au bout des branches odoriférantes. (Oh ! ce n’est plus quelque chose à faire…) Des coques de noix recollées avec un bout de laine rouge en boucle pour les suspendre, et peintes en doré et en argent, réfléchissaient la lumière des bougies. Et il y avait des cheveux d’ange, et des boules en verre – j’en ai encore une dizaine qui a résisté au temps et aux déménagements – et des guirlandes de zestes de citrons et de clémentines… Qu’il était beau notre sapin ! On passait bien dix minutes à s’extasier, à rire de bonheur, à humer le parfum des forêts dans la montagne.

Puis, on déballait des présents. Bientôt, on nageait au milieu de papiers froissés et de boîtes vides, chacun occupé à découvrir son trésor et à l’apprivoiser. Maman, assise dans son fauteuil en velours vert bouteille, nous regardait sans dire mot. Elle était tout simplement comblée de nous voir surpris, satisfaits, reconnaissants. On se faisait des bises, des câlins, puis nous allions nous coucher.

Le lendemain, nous chantions des chants de Noël avec ferveur. Maman les jouait sur son vieux piano aux touches d’ivoire usées, et Papa nous en décodait les paroles. Ah! les histoires de Noël, ces histoires de bonté, de compassion, d’empathie, de générosité, de douceur, de pardon, de réconciliation, de retrouvailles, de trêves. Nos yeux d’enfants clignaient d’émotion. Nous apprenions que demain, et après-demain, et après-après-demain, ce serait encore Noël si nous choisissions de voir dans le visage et dans les yeux des autres notre propre visage et nos propres yeux. Tendre la main à l’autre, lui sourire, serait de l’amour qui nous reviendrait mille fois.

Mes Noëls, c’était le contentement de ma mère, son apaisement, sa douce revanche sur le sort. Oui, les Noëls de mon enfance étaient simples. Simples parce que, simplement, ils étaient la fête hors de l’ordinaire que mes parents nous offraient pour nous dire, avec l’émerveillement d’un sapin illuminé, des cadeaux soigneusement choisis, et la vieille histoire de la naissance d’un divin enfant, combien ils nous aimaient…

De tout cœur, à vous tous qui me lisez, je souhaite un bon Noël !

©2017 Danièle Starenkyj

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