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Danièle Starenkyj

PREMIÈRE NEIGE

Il neige ! Doucement, sans se bousculer, les étoiles de glace, en chute libre, se posent sur le sol.

Je suis émerveillée. Et mon ravissement monte d’un cran en me souvenant soudain qu’il n’y a pas, depuis la nuit des temps, deux cristaux de neige pareils qui, du haut des nuages, soient venus jusqu’à nous. De Descartes à aujourd’hui, c’est absolument certain : la probabilité que deux cristaux de neige – qui peuvent contenir des milliards de milliards de molécules d’eau – soient composés exactement du même agencement de molécules est ridiculement faible. Il pourrait neiger jour et nuit jusqu’à ce que le soleil s’éteigne avant que deux flocons de neige soient parfaitement identiques1. Œuvres d’art temporaires, à la personnalité unique, chacune ayant son histoire, ces fleurs de glace à la symétrie hexagonale – comme celle des tulipes – soulèvent chez l’observateur l’enthousiasme, mais aussi la réflexion.

Ces milliards de milliards de différences, ne sont-elles pas celles qui font de la vie la grande aventure qui passionne, qui soulève, qui fascine quiconque l’aime ? Il faut en convenir, chaque spécimen de vie est unique, et donc différent. La vie, la vraie, est anti monotonie, anti uniformité, anti ennui, anti standardisation, anti homogénéité, anti platitude. Étrangement, comme je le raconte dans mon dernier livre2, ce sont les flocons de neige qui m’ont sauvée d’une vie abstraite, théorique, passive. À l’âge de 19 ans, étudiante en philosophie et toute jeune mariée, j’avais lu dans ces hiéroglyphes venus des contrées nuageuses l’appel à aimer « autrui et son visage »

(É. Levinas), et à mettre les autres avant les choses.

Je questionne : si l’infinie diversité des cristaux de glace est matière à émerveillement, pourquoi l’absolue et inouïe disparité des humains serait-elle à combattre ? Chacun n’est-il pas un joyau unique, un chef-d’œuvre exclusif ? La pierre angulaire de chaque humain est un homme et une femme, un père et une mère, l’un et l’autre marqué par la différence ineffaçable et irrémédiable de leur spécificité génétique, physiologique, hormonale, psychologique et comportementale, et cela, dès la fécondation et la formation des toutes premières cellules. Un homme. Une femme. Le bonheur de la différence… Ce bonheur, pourquoi s’en réjouit-on quand il s’agit de sculptures microscopiques de neige, et le nie-t-on, et le combat-on, et le critique-t-on quand il s’agit du couple ? des familles ? des cultures ? des races ?

La guerre des sexes, et toute guerre quelle qu’elle soit, est mortelle3. La guerre produit la dévastation du désamour. Et l’une de ses armes destructrices de millions de couples, et de milliards d’individus, qui auraient pu vivre tranquillement leur rêve d’amour ou de paix, est cette volonté – que l’on veut légitime – de changer l’autre pour qu’il soit comme soi. On refuse d’admirer les différences de l’autre. On se met en colère de ne pas réussir à le faire plier à nos exigences. Et on l’humilie à souhait. Personne ne peut se passer d’amour. L’amour est une grâce précieuse. Il ne faut pas la mépriser. L’amour est un art, lui seul donne au cœur et à l’esprit la joie de vivre. Car quand on n’a que l’amour… on a tout, on est tout, on peut tout.

Danièle Starenkyj©2017

1. Libbrecht K., Rasmussen P., Flocons de neige – La beauté secrète de l’hiver, Les Éditions de l’Homme, 2003. 2. Starenkyj D., Réflexions pour une vie meilleure, p.19, 20, Orion, 2015. 3. Starenkyj D., Ce que cœur de femme veut, Orion, 2012. (Version anglaise disponible sous le titre : Woman’s True Desire, Orion, 2015).

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